Voici la suite de l'
apparition de la gendarmerie.
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La politique constante de la monarchie, visant à une plus grande centralisation administrative et judiciaire, s’est

appuyée notamment sur le développement de la justice prévôtale dans le royaume.
Ainsi en 1464, Louis XI, en lutte contre les grands seigneurs féodaux, autorise le prévôt des maréchaux à envoyer des lieutenants dans les provinces pour se faire représenter, d’abord
provisoirement puis de manière permanente. Louis XII, dans le contexte en particulier des guerres d’Italie au début du XVIe siècle, crée alors autant d’offices qu’il existe de provinces : celles-ci
doivent financer en partie les maréchaussées, commandées par un prévôt général ou un prévôt provincial selon le statut administratif de celles-ci. On peut parler dès lors d’une amorce de
sédentarisation de la maréchaussée : un véritable maillage territorial, certes assez lâche et inachevé, se met lentement en place ; ce qui ne va pas bien sûr sans causer parfois des conflits de
compétence et de juridiction avec une justice ordinaire trop souvent inefficace et très morcelée, en particulier avec les baillis et sénéchaux.
François Ier, pour renforcer la sécurité des campagnes dans une situation de guerre permanente contre Charles Quint, étend le système des maréchaussées à l’ensemble du royaume en ne liant plus leur
implantation à la présence de troupes. Rattachées au tribunal de la Connétablie, celles-ci ont donc un statut militaire (terme il est vrai quelque peu anachronique pour l’époque mais qui reflète
les privilèges et exemptions fiscales dont leurs personnels bénéficient) sans être toutefois intégrées à l’armée. L’ « égo-historiographie » traditionnelle de l’Arme considère à ce titre François
Ier comme le « Père fondateur de la gendarmerie » par ses réformes législatives successives, en particulier la présente déclaration royale qui redéfinit, d’une manière novatrice et décisive, les
missions des prévôts des maréchaux.
La déclaration du 25 janvier 1536 développe considérablement les pouvoirs de la maréchaussée, qui reçoit ainsi ce que l’on a pris pour habitude d’appeler une « compétence mixte ».
Dans un contexte de dégradation importante de la sécurité pour l’ensemble de la population, François Ier étend pour la première fois la compétence des juridictions prévôtales à d’autres criminels
qu’aux gens de guerre. Traditionnellement, ne relevaient de la justice des prévôts des maréchaux que les soldats (sauf les officiers qui étaient nobles) pris hors des camps et garnisons, ou ayant
rompu tout lien avec leurs corps, c'est-à-dire les déserteurs et pillards qui très souvent écument les campagnes en bandes armées. Les personnes qui suivent les armées, dont la définition reste
délibérément assez vague pour ratisser le plus largement possible, relèvent également de la justice prévôtale : ce sont par exemple les trafiquants en tout genre et la tourbe (prostituées, bandits,
mendiants, etc.) qui gravitent invariablement à l’époque autour des troupes en campagne.
À tout ce beau petit monde, le roi ajoute par le présent texte les auteurs des crimes de grand chemin, civils ou militaires, vagabonds ou domiciliés ; en somme tous les actes commis par des
errants, quels que soient leurs statuts ou métiers, par les récidivistes en particulier, doivent être réprimés par les juridictions prévôtales. Dans la situation générale du XVIe siècle, cette
extension paraît tout à fait légitime pour une population qui considère les personnes itinérantes comme la source principale du danger, le vecteur majeur du crime et du désordre : il existe alors
une véritable peur du vagabond qui perdurera, quasiment inchangée, dans l’imaginaire social des campagnes jusqu’au XIXe siècle. Une innovation majeure de la déclaration royale de 1536 est
l’instruction par les maréchaussées d’affaires concernant des domiciliés, alors qu’auparavant ces individus relevaient de la justice ordinaire. La guerre, l’impuissance des baillis et sénéchaux à
assurer efficacement l’ordre et la sécurité à l’intérieur du royaume ont contraint le pouvoir monarchique à prendre ces mesures sévères, éminemment contraires à la tradition juridique en
vigueur.
Détaillons maintenant le texte proprement dit de la déclaration du 25 janvier 1536. En introduction, un rappel, ou plutôt un tableau particulièrement sombre, du contexte inquiétant d’insécurité et
de chaos est présenté pour justifier l’ordre donné par le roi aux prévôts des maréchaux de punir avec une sévérité accrue les criminels, de quelque condition qu’ils soient (y les domiciliés).
Dans une seconde partie, la maréchaussée reçoit par ailleurs le droit de requérir par différents moyens (cri public, tocsin) le service personnel des habitants afin de prêter main-forte pour
l’arrestation des criminels, notamment en flagrant-délit, et l’exécution des mandats de justice, que les coupables soient vagabonds ou non. Une disposition autorise également la maréchaussée à
pénétrer dans le domicile d’un individu afin de s’en saisir. Enfin, une excuse légale est établie pour les prévôts et ceux qui les accompagnent au cas où un criminel serait tué ou blessé au cours
de son arrestation.
Dans une dernière partie, il est stipulé que le prévôt des maréchaux – dont la compétence en principe devait se limiter aux seuls crimes de grand chemin – doit instruire et procéder également au
jugement des autres crimes qu’aurait pu perpétrer le bandit arrêté par lui. Le procès, pour lequel la présence de quatre notables (avocats par exemple) est requise, sera mené indépendamment de
toutes les autres juridictions civiles territoriales, qui ne pourront s’opposer au jugement rendu par la justice prévôtale ni même en connaître les arrêts.
Cette déclaration royale donne donc des pouvoirs considérables aux prévôts des maréchaux en autorisant les violations de domicile ou légitimant l’emploi de la force contre un criminel qui
opposerait une résistance. Son aspect novateur est confirmé et son application appuyée ensuite par une série d’autres textes, en particulier par les lettres patentes du 26 mai 1537 sur la levée des
gens de guerre, dans lesquels sont précisées les missions fondamentales de la maréchaussée - notamment son caractère mixte de force militaire faisant de la police judiciaire principalement civile,
son action privilégiée en milieu rural et sur les grands chemins royaux.
De nombreux juristes de l’Ancien Régime se sont constamment indignés contre le droit très étendu d’usage des armes donné à la maréchaussée, contre une justice perçue comme ontologiquement sommaire
et ont dénoncé les inévitables conflits d’attribution avec la justice criminelle ordinaire, qui ne cesseront véritablement qu’avec la suppression des juridictions prévôtales en 1790.
Garde Sébastien Horner, département Gendarmerie – Service historique de la Défense